Dans le 6ème arrondissement de Paris, une humble petite rue jouxte la place Saint Germain des Prés. Elle a pour nom Guillaume Apollinaire. Elle fut ainsi nommée par décision du Conseil Municipal de Paris dans le courant du mois de mars 1951, sur une proposition du journaliste et résistant français Jean Marin (de son vrai nom Yves Morvan). Nous vous livrons ci-après le discours que M. Henri Vergnolle a prononcé à cet effet dans le cadre de la séance du Conseil Municipal de Paris des jeudi 22 et vendredi 23 mars 1951, lequel fut publié le mardi 10 avril suivant.

« Mes chers collègues, je voudrais vous demander, avant l’interruption de séance, la permission de vous présenter au nom de votre 3ème Commission quelques rapports sur des attributions de noms de voies qui ont fait l’objet de sa part de votes unanimes. Nous avons — je vous l’ai déjà dit à diverses reprises — environ 150 demandes d’attribution de noms de rues. Malheureusement, nous ne pouvons pas toutes les satisfaire. Nous avons pensé, cependant, qu’il était bon, à cette session, d’honorer quelques grands faits, quelques grands noms, quelques grands hommes, et nous nous sommes arrêtés à ceux que je vais avoir l’honneur de vous indiquer. Voici d’abord, venant sur une proposition de M. Jean Marin, la proposition d’attribuer à Guillaume Apollinaire une rue de Paris. Mesdames, Messieurs, je ne rappellerai pas à cette Assemblée, dont tous les membres ont appris à connaître ceux qui ont honoré la poésie et notre littérature, qui était Guillaume Apollinaire.

Guillaume Apollinaire a eu le mérite d’allier à l’audace du novateur l’érudition d’un chartiste, la bonne humeur, l’esprit de mystification de l’étudiant. Il était dans la tradition d’Alfred Jarry et d’Ubu-Roi, si j’ose dire, et il compte et comptera, je le crois, parmi l’élite française de son époque qui, secouant la poussière des idées toutes faites, ouvrit toutes grandes les portes de la rénovation littéraire et artistique.

Il découvrit le «Douanier» Rousseau qui fit de lui un portrait en smoking ; il soutint les premiers efforts du cubisme, fut parmi les révélateurs de l’art nègre. Esprit audacieux, il est mort trop tôt sans avoir pu donner sa mesure.

Il nous est donc doublement cher, cet étranger, si français.

Il est mort de la guerre.

Comme tant et tant d’autres qui, dès les premiers jours d’août 1914, envahirent les bureaux de recrutement pour prendre leur part du sort commun des français, Guillaume Apollinaire s’engagea.

II fut artilleur et gagna, si mes souvenirs sont exacts, les galons de maréchal-des-logis. ;

Tirant le canon, composant ses œuvres, il fit glorieusement son devoir. Une grave blessure à la tête obligea à la trépanation.

Ses derniers portraits nous le montrent la tête entourée d’un bandeau blanc. Il mourut de la grippe espagnole, son corps affaibli par sa grave blessure fut un terrain de choix pour la maladie.

Et le 31 novembre 1918, alors que la foule parisienne, en liesse, se répandait dans la capitale, ceux qui avaient envahi le boulevard Saint-Germain, arrêtaient leurs cris et leurs chants pour saluer le corbillard modeste qui transportait au lieu du repos éternel « Le poète assassiné ».

C’est dans ce quartier de Saint-Germain-des-Prés que ses amis fidèles à sa mémoire nous ont demandé de l’honorer, si la chose était possible.

Ils n’ont pas demandé un grand boulevard, une grande voie, une grande place, une grande avenue. Ils ont dit que le seul fait que Guillaume Apollinaire eût son nom parmi les rues de Paris leur suffisait. C’est pourquoi nous avons pensé à ce petit tronçon de la rue de l’Abbaye qui va de la rue Bonaparte à la rue Saint-Benoît. Rien ne s’y oppose, aucune gêne ne peut en résulter.

Je pense que M. Jean Marin, qui a fait la proposition, et le Conseil municipal tout entier seront d’accord pour que cette rue soit désormais consacrée à Guillaume Apollinaire. (Applaudissements.) »