Une haute perception de l’éducation

Emmanuel Kant avait une haute perception de l’éducation. Ainsi, pour lui, l’idée du devoir prévaut sur celle du sentiment. Nous ne résistons pas à publier un Emmanuel Kant Arvensaextrait de son remarquable et passionnant  Traité de pédagogie (un de ses ouvrages parmi les plus accessibles à tout lecteur). Vous retrouverez l’intégralité de ce livre au sein de notre édition numérique originale des Œuvres complètes d’Emmanuel Kant.

L’importance de la sociabilité

« Outre le sentiment de sa propre dignité et de ses devoirs envers lui-même, on doit aussi inculquer de très bonne heure à l’enfant le respect des droits d’autrui. Or c’est à quoi on le prépare d’abord en cultivant en lui ce troisième trait de son caractère, la sociabilité. Pour cela il faut éviter soigneusement tout ce qui peut exciter l’envie chez les enfants. Ainsi on les traitera tous sur le pied de l’égalité, et l’on ne témoignera de préférence à aucun d’entre eux pour son esprit, quoique l’on puisse bien en témoigner à quelqu’un pour son caractère. Encore se gardera-t-on dans ce cas de le proposer pour modèle à ses camarades ; car ce n’est pas sur la conduite des autres, mais sur la perfection morale elle-même que chacun doit apprendre à s’estimer. « Vois comme un tel se conduit ! etc., parler ainsi aux enfants n’est pas le moyen de leur inspirer de nobles sentiments… L’esprit d’émulation mal appliqué ne produit que l’envie. Le cas où l’émulation pourrait servir à quelque chose serait celui où l’on voudrait persuader à quelqu’un qu’une chose est praticable, comme, par exemple, quand j’exige d’un enfant une certaine tâche et que je lui montre que les autres ont pu la remplir. »

Le respect des autres enfants

Pour la même raison il faut combattre chez les enfants toute fierté qui n’a d’autre motif que les avantages de la fortune. On ne souffrira donc jamais qu’un enfant en humilie un autre, parce qu’il est né de parents plus riches. Il y a un excellent moyen de le punir en pareil cas et de le corriger de cette fausse fierté, c’est de l’humilier à son tour. « Si, par exemple, un enfant rencontre un autre enfant pauvre et qu’il le repousse fièrement de son chemin, ou qu’il lui donne un coup, on ne doit pas lui dire : « Ne fais pas cela, cela fait mal à cet enfant ; sois donc compatissant, c’est un pauvre enfant, etc. ; » mais il faut le traiter à son tour avec la même fierté et lui faire vivement sentir combien sa conduite est contraire au droit de l’humanité. »

Moins la générosité que le devoir

Kant fait remarquer, après Rousseau, que les enfants sont tout à fait dépourvus de générosité : « C’est ce dont on peut se convaincre, par exemple, en ordonnant à un enfant de donner à un autre la moitié de sa tartine, sans lui en promettre une seconde : ou il n’obéit pas, ou, s’il le fait par hasard, ce n’est qu’à contrecœur[1]. »

Il ajoute qu’il est tout simple qu’on ne puisse guère parler aux enfants de générosité, puisqu’ils n’ont encore rien à eux. Mais, s’il est difficile de faire appel à la générosité d’un enfant, il l’est beaucoup moins de lui faire entendre le langage du devoir. C’est par là qu’il faut s’appliquer à le rendre bienfaisant. Représentez-lui que, s’il est mieux vêtu, mieux nourri, en un mot plus heureux que d’autres, il ne le doit qu’au hasard des circonstances, que les autres ont autant de droits que lui aux avantages de la fortune, et qu’ainsi en faisant du bien aux pauvres il ne fait que ce qu’il doit. « Les prêtres, dit Kant, commettent très souvent la faute de présenter les actes de bienfaisance comme quelque chose de méritoire. » Ce n’est point par ce côté qu’il faut que les enfants apprennent à estimer leurs actions. « Que leur cœur, s’écrie-t-il, soit plein, non de sentiment, mais de l’idée du devoir. »…

Un catéchisme moral des devoirs

Pour donner aux enfants une connaissance exacte et précise des devoirs de l’homme, soit envers lui-même, soit envers ses semblables, Kant pense qu’il serait bon de mettre entre leurs mains un catéchisme, purement moral, où ces devoirs seraient exposés sous la forme la plus populaire, et qui à l’exposition de chacun d’eux joindrait certaines questions casuistiques dont l’examen serait à la fois un excellent exercice pour leur esprit et pour leur moralité. L’idée d’un catéchisme de ce genre est une des idées favorites de notre philosophe. Elle découlait en effet de sa doctrine morale, et il n’était pas homme à reculer devant cette conséquence de ses principes….

Il ne pouvait manquer de revenir sur cette idée dans ses observations sur l’éducation. Il regrette ici que l’on ne donne point dans les écoles pour fondement à l’enseignement moral un catéchisme du droit.

« S’il y avait un livre de ce genre, dit-il, on y pourrait consacrer fort utilement une heure chaque jour, afin d’apprendre aux enfants à connaître et à prendre à cœur le droit des hommes, cette prunelle de Dieu sur la terre. »

Magalie Schwartzerg

[1]  « Je n’ai guère vu dans les enfants, dit Rousseau, que ces deux espèces de générosité : donner ce qui ne leur est bon à rien, ou donner ce qu’ils sont sûrs qu’on va leur rendre. »

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