Huysmans oeuvres complètes ebook epub pdf kindleParcours autour des oeuvres complètes de Joris-Karl Huysmans  que les éditions numériques Arvensa viennent de publier.

S’il y a un auteur qui donne du fil à retordre à un éditeur, c’est bien Joris-Karl Huysmans, tant est complexe son vocabulaire et demeurent hors du commun son œuvre et sa personnalité.

Un vocabulaire complexe

D’abord influencé par le naturalisme de Zola, Huysmans finira, sans pourtant s’en départir tout-à-fait, même après sa conversion, à « s’évader d’un cul-de-sac[1] » où il suffoquait. Il n’a certes pas le langage d’un Chateaubriand ou d’un Hugo. Le sien est bien moins distingué mais, sans doute parce que c’est la langue qu’il parlait et qui traduit si bien la vivacité de ses états d’âmes, cela donne des pages colorées et rythmées qui nous captivent sans nous lasser.

Huysmans est un innovateur littéraire : il  joue avec la phrase et le vocabulaire[2].

Ce magicien des mots se plaît à utiliser les métaphores et les néologismes à profusion. Des termes difficilement compréhensibles s’ils sont pris isolément mais dont le lecteur pourra heureusement en déceler le sens dans la phrase.

Il aime à se jouer du genre : ainsi une fleur peut devenir un fleur, le consule la consule. Des mots anciens ou peu usités seront préférés à leurs synonymes du vocabulaire moderne s’ils vibrent davantage dans la phrase ou lui donne une couleur plus accentuée. Il en est de même de l’usage nombreux des mots d’argot, à la mode dans les milieux distingués de la fin du 19ième siècle, ou de l’utilisation très personnelle des préfixes, des superlatifs et des mots étrangers.

Du Thresor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne de Jean Nicot, datant du début du 17ème siècle — le tout premier dictionnaire de la langue française — au Dictionnaire analogique de Boissière de 1862 qu’utilisait lui-même Huysmans, sans oublier les dictionnaires d’argot, de cuisine, des arts et métiers, de mots désuets, … nous avons eu recours à pas moins de quatorze dictionnaires pour décrypter le vocabulaire de cet auteur exceptionnel.

Rassurez-vous, ami lecteur, nous avons fait en sorte de vous faciliter la tâche en vous donnant de nombreuses définitions.

L’œuvre et l’homme se confondent.

Les premiers livres, Marthe, histoire d’une fille, ou les Sœurs Vatard sont d’un Huysmans parfaitement misogyne, habitué des bas-fonds et des maisons closes. Il y manie un langage cru, obscène et dépravé.

Quelque chose d’indéfinissable nous attache cependant à cet auteur obsédé par le sexe sans amour et la pauvreté sans âme qui fait la misère.

Si comme moi, en lisant les premières œuvres de Huysmans, vous éprouvez le besoin de respirer l’air pur en dehors de ces bas-fonds, ne manquez pas ensuite, cher lecteur, de reprendre votre lecture pour découvrir peu à peu la métamorphose de l’écrivain et de son œuvre.

Car, tout en gardant un ton ironique et un humour noir, l’œuvre devient moins obsessionnellement charnelle. L’auteur semble s’apaiser, trouver un équilibre intérieur … grâce à son chemin de conversion.

Rien décidément de figé dans l’écriture de Huysmans. Son style libéré, en racontant la vie parisienne ou les quartiers de la capitale qu’il connaissait si bien, peint de vrais tableaux qui pourraient bien inspirer des peintres en mal d’inspiration. « Riche ou pauvre, somptueuse ou mesquine, je trouve que la rue est toujours belle ! » écrit-il dans En Ménage.

Huysmans fut un esthète et un critique de premier plan. Dans ce domaine, ses articles sont prolifiques. Les artistes et les amateurs d’art ont de quoi se délecter. Quant aux non-initiés, ils pourront, en le prenant pour guide, apprendre à voir.

Il désignera son recueil de critiques d’art, Certains, comme son livre préféré. C’est l’art qui amènera Durtal, son héros, à rechercher autre chose qui le dépasse. C’est l’art qui va amener Huysmans à Dieu. Il fut pour lui un chemin vers une spiritualité qui va finir par l’absorber complètement, vers une offrande de tout son être au christianisme.

C’est d’ailleurs A Rebours, un livre d’esthète que les lecteurs d’aujourd’hui connaissent généralement de Huysmans. Il y décrit le parcours de des Esseintes, un trentenaire déjà vieilli et usé par une sensibilité à fleur de peaux, qui, dans sa marche à rebours, va « jouer » au chrétien. Huysmans dans la préface qu’il a écrite 20 ans après la première publication du roman écrira :

« Ce livre fut une amorce de mon œuvre catholique qui s’y trouve, tout entière, en germe… Et ce qui complique encore la difficulté et déroute toute analyse, c’est que, lorsque j’écrivis A Rebours, je ne mettais pas les pieds dans une église, je ne connaissais aucun catholique pratiquant, aucun prêtre ; je n’éprouvais aucune touche divine m’incitant à me diriger vers l’Église, je vivais dans mon auge, tranquille ; il me semblait tout naturel de satisfaire les foucades de mes sens, et la pensée ne me venait même pas que ce genre de tournoi fût défendu. »

Puis il y eut Là-Bas dans lequel Durtal va flirter avec l’occultisme et le satanisme.

Nous le comprenons très vite : l’œuvre de Huysmans est désormais tout simplement son histoire. Elle le devient pleinement sous le nom de Durtal à partir de En Route, son roman confession, puis dans La Cathédrale et l’Oblat. Huysmans y est le personnage de son propre héros.

Ces quelques lignes d’En Route disent quel combat spirituel fut le sien :

« Mon âme est un mauvais lieu ; elle est sordide et mal famée ; elle n’a aimé jusqu’ici que les perversions ; elle a exigé de mon malheureux corps la dîme des délices illicites et des joies indues ; elle ne vaut pas cher, elle ne vaut rien ; et, cependant, près de vous, là-bas, si vous me secouriez, je crois bien que je la materais ; mais mon corps, s’il est malade, je ne puis le forcer à m’obéir ! C’est pis que tout, cela ! je suis désarmé, si vous ne me venez en aide. »

D’aucuns lui reprochent son pessimisme. Il est vrai que Huysmans a un œil constamment critique sur la société de son temps. Même converti, il gardera ce ton incisif. Mais l’esprit critique n’est-il pas l’apanage des gens très cultivés ?

Epris de vérité, Huysmans restera toute sa vie un anticonformiste. Il n’y a pas une classe de la société qu’il n’ait sévèrement et ironiquement décrite. « Contrairement à l’opinion reçue, j’estime que toute vérité est bonne à dire. » écrit-il dans L’Art moderne. Seuls le plain-chant, l’art médiéval et les contours restreints du cloître, en lui apportant la paix, vont être capables de l’émouvoir et trouver grâce à ses yeux.

Quoiqu’il en soit, cet anticonformisme lui valut de nombreuses critiques :

Notons celle de ce moine bénédictin de Ligugé :

« Les livres de Huysmans ne peuvent faire de bien qu’à ceux qui n’en lisent que de mauvais.[3] »

Remarquons au passage que ce propos a de quoi surprendre de la part de quelqu’un qui fait vœu d’humilité. Mais quand bien même ! si ce qu’il écrit est vrai, réjouissons-nous. Ne serait-ce pas déjà un beau résultat dont peu d’écrivains peuvent s’honorer[4] !

Il y a aussi la critique de Zola qui l’accusait de « saper le naturalisme : « Je n’admets pas que l’on change de manière et d’avis ; je n’admets pas que l’on brûle ce que l’on a adoré. »

N’est-ce pas au contraire courageux, ami lecteur, de brûler ce que l’on a adoré si l’on estime que l’on s’est trompé ?

Mais laissons Huysmans lui répondre dans la préface d’A Rebours.

« Je l’écoutais, pensant qu’il avait tout à la fois et raison et tort, — raison, en m’accusant de saper le naturalisme et de me barrer tout chemin, — tort, en ce sens que le roman, tel qu’il le concevait, me semblait moribond, usé par les redites, sans intérêt, qu’il le voulût ou non, pour moi.

« Il y avait beaucoup de choses que Zola ne pouvait comprendre ; d’abord, ce besoin que j’éprouvais d’ouvrir les fenêtres, de fuir un milieu où j’étouffais ; puis, le désir qui m’appréhendait de secouer les préjugés, de briser les limites du roman, d’y faire entrer l’art, la science, l’histoire, de ne plus se servir, en un mot, de cette forme que, comme d’un cadre pour y insérer de plus sérieux travaux. Moi, c’était cela qui me frappait surtout à cette époque, supprimer l’intrigue traditionnelle, voire même la passion, la femme, concentrer le pinceau de lumière sur un seul personnage, faire à tout prix du neuf. »

Huysmans était devenu incollable sur la vie des saints et sur la liturgie. Les lecteurs d’aujourd’hui que nous sommes, si souvent incrédules et ignorants en culture religieuse, vont trouver peut-être laborieux certains passages de En Route, de la Cathédrale ou de l’Oblat.

Aussi je vous invite à « ouvrir vos fenêtres » comme il l’a fait lui-même, en vous plongeant dans cette édition des oeuvres complètes de Joris-Karl Huysmans avec l’esprit dégagé, repoussant tout a priori culturel et spirituel.

Nul doute que vous découvrirez, comme je l’ai fait, une œuvre hors du commun. Car enfin J. –K. Huysmans, l’auteur honnête et passionné qui parle de tout et bouscule tout avec un sens profond des choses intimes, a certainement quelque chose à dire à chacun de nous.

Je laisse notre auteur conclure :

« Comment apprécier, d’ailleurs, l’œuvre d’un écrivain, dans son ensemble, si on ne la prend dès ses débuts, si on ne la suit pas à pas ; comment surtout se rendre compte de la marche de la Grâce dans une âme si l’on supprime les traces de son passage, si l’on efface les premières empreintes qu’elle a laissées ? » (Préface de A Rebours)


Découvrez les oeuvres complètes de Joris-Karl Huysmans sur la page détaillée de notre catalogue


[1] Préface d’A Rebours.

[2] Au lecteur qui souhaiterait décrypter ce style huysmancien, je ne saurai trop conseiller de se procurer l’excellent livre de Marcel Cressot : La phrase et le vocabulaire de J.-K. Huysmans, rééditée par les éditions Slatkine (Genève).

[3] Extrait du journal le Temps du 1er mai 1903.

[4] Voir la réponse de Huysmans à ce moine de Ligugé dans le recueil PORTRAITS DE J.-K. HUYSMANS au sein de notre édition numérique des œuvres complètes de J.-K. Huysmans.